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Antonin Artaud, de son vrai nom Antoine Marie Joseph Artaud, est un écrivain et poète français, né à Marseille le 4 septembre 1896 et mort à Ivry-sur-Seine le 4 mars 1948.

Il est l'auteur de poèmes (L'Ombilic des limbes, 1925) et de textes sur le cinéma et le théâtre (Le Théâtre et son double, 1938), où il fait l'éloge du « théâtre de la cruauté » et qui influenceront plus tard de nombreux metteurs en scène dans le monde entier. Il a également scénarisé La Coquille et le Clergyman et joué dans 25 films en douze ans, notamment dans le Napoléon d'Abel Gance ou La Passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer.

Biographie[]

"

                                Qui suis-je ?
D'où viens-je ?
Je suis Antonin Artaud
Vous verrez mon corps actuel
Voler en éclats
Et se ramasser
Sous dix mille aspects
Notoires
Un corps neuf
Où vous ne pourrez
Plus jamais
M'oublier."

Antonin Artaud est issu d'une famille bourgeoise aisée. Son père, Antoine Roi, était capitaine au long cours, et sa mère, Euphrasie Nalpas, est originaire de Smyrne (Turquie). S'il connaît une petite enfance choyée dont il garde des souvenirs de tendresse, de chaleur, elle est cependant perturbée par des troubles nerveux que l'on attribue à une méningite. Seuls les séjours dans la patrie de sa mère avec sa grand-mère le soulagent. La douleur physique ne le quittera plus malgré des séjours répétés en maison de santé. À huit ans, il perd une petite sœur âgée de huit mois. Cette découverte de la mort l'affecte profondément. À dix ans, il évite la noyade. Il gardera de cet accident la phobie de l’eau. Son éducation religieuse chez les pères maristes lui apportera une forte connaissance de la théologie catholique que l'on retrouve dans l'esthétique de son œuvre. Il manifeste un goût pour le grec, le latin et l'histoire ancienne. À quatorze ans, il découvre Charles Baudelaire.

En 1920, il arrive à Paris et se met à écrire. Son premier recueil est refusé en 1923 par Jacques Rivière directeur de la "NRF" et une correspondance commence entre eux. Artaud lui explique que son écriture est une lutte contre la pensée qui l'abandonne, le néant qui l'envahit. « Je n'ai jamais trouvé ce que j'écris que par affres ». Rivière publie la correspondance dans la « NRF ».

Le poète devient un moment le directeur de la Centrale du bureau des recherches surréalistes. Au cours de cette période, il écrit des scénarios de films et des poèmes en prose, et plusieurs textes sont publiés dans La Révolution surréaliste, l'organe du groupe surréaliste. Le 10 décembre 1926, au cours d'une réunion du groupe, l'adhésion au parti communiste français est envisagée. Artaud refuse et quitte le groupe. Pour lui, la révolution doit être spirituelle et non politique.« Je n'aime pas les poèmes de la nourriture, mais les poèmes de la faim, ceux des malades, des parias, des empoisonnés, des suppliciés du langage qui sont en perte dans leurs écrits. ».

Dans l'incipit de « L'Ombilic des limbes », il déclare que « là où d'autres proposent des œuvres, je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit ».

Artaud et le théâtre[]

" Il faut ignorer la mise en scène, le théâtre. Tous les grands dramaturges […] ont pensé en dehors du théâtre. [Ils] suppriment ou à peu près la mise en scène extérieure, mais ils creusent à l'infini les déplacements intérieurs, cette espèce de perpétuel va-et-vient des âmes de leurs héros.
L'asservissement à l'auteur, la soumission au texte, quel funèbre tableau ! Mais chaque texte a des possibilités infinies. L'esprit et non la lettre du texte ! Mais un texte demande plus que de l'analyse et de la pénétration. […]
Chaque œuvre ils la pensent en raison du théâtre. Rethéâtraliser le théâtre, tel est leur nouveau cri monstrueux. Mais le théâtre, il faut le rejeter dans la vie. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut faire de la vie au théâtre. Comme si on pouvait seulement imiter la vie. Ce qu'il faut, c'est retrouver la vie du théâtre, dans toute sa liberté. […]
Il faudrait changer la conformation de la salle et que la scène fût déplaçable suivant les besoins de l'action. Il faudrait également que le côté strictement spectacle du spectacle fût supprimé. On viendrait là non plus tellement pour voir, mais pour participer. Le public doit avoir la sensation qu'il pourrait sans opération très savante faire ce que les acteurs font." La citation ci-dessus est extraite d'un article paru dans la revue Comedia du 19 avril 1924, dans lequel Artaud expose autant qu'il annonce sa vision du théâtre tel qu'il devra être et tel qu'il entend la réaliser. Mais soutiens et moyens lui feront constamment défaut, l'empêchant de mettre en œuvre sa conception d'un théâtre total.

En 1920, il rencontre Lugné-Poë, directeur du Théâtre de l'Œuvre, connu pour son entêtement à représenter les œuvres d'auteurs peu ou pas connus comme Maurice Maeterlinck, Alfred Jarry, Oscar Wilde, Henrik Ibsen, à rebours du théâtre sclérosé depuis le Second Empire (vaudeville bourgeois, mélodrame des chaumières, tragédie d'antiquités…). Engagé, Artaud révèle de grandes capacités d'acteur (« Beau comme une vague, émouvant comme une catastrophe... »)[1] et d'homme à tout faire : il créé les décors et les costumes pour « La Vie est un songe » de Calderón de la Barca.

Max Jacob lui suggère d'aller voir Charles Dullin qui vient de créer le Théâtre de l'Atelier et reprend les rénovations entreprises par Jacques Copeau en 1913 (invention du metteur en scène, RE-création de LA troupe de théâtre, refus de l'emploi, décor au strict service de la dramaturgie) que la première guerre mondiale a interrompues. « On a l'impression en écoutant l'enseignement de Dullin qu'on retrouve de vieux secrets et toute une mystique oubliée de la mise en scène. » (lettre à Max Jacob).

En 1923, il quitte Dullin pour la compagnie de Georges et Ludmilla Pitoëff installée à la Comédie des Champs-Élysées. Puis avec Roger Vitrac, Robert Aron et l'aide matérielle du Dr René Allendy, psychiatre et psychanalyste, qui le soigne, il fonde le Théâtre Alfred Jarry et définit une conception nouvelle de l'art dramatique dans le manifeste publié aussitôt : « Si nous faisons du théâtre ce n'est pas pour jouer des pièces mais pour arriver à ce que tout ce qu'il y a d'obscur dans l'esprit, d'enfoui, d'irrévélé se manifeste en une sorte de projection matérielle. » (1926).

Le Théâtre Alfred Jarry présentera quatre séries de spectacles : « Les Mystères de l'amour » de Vitrac, « Ventre brûlé ou la Mère folle » d'Artaud et « Gigogne » de Max Robur (pseudonyme de Robert Aron), « Le Songe » d'August Strindberg perturbé par les surréalistes (juin 1927), le troisième acte du « Partage de midi » de Paul Claudel joué contre la volonté de l'auteur qu'Artaud qualifie publiquement d'« infâme traître ». Il s'ensuit une brouille avec Jean Paulhan et la reconsidération des surréalistes (janvier 1928). « Victor ou les enfants au pouvoir » de Vitrac sera la dernière représentation (décembre 1928). Quelques mois plus tard, Roger Vitrac quitte le Théâtre Alfred Jarry et confie la mise en scène de sa pièce « Le Coup de Trafalgar » à Marcel Herrand. Artaud accuse Vitrac de trahison : « Entre le surréalisme gratuit mais poétique des « Mystères de l'amour » et la satire explicite d'une pièce de boulevard ordinaire, Roger Vitrac n'a pas su choisir ; et sa pièce sent le parisianisme, l'actualité, le boulevard. […] La pièce porte la peine d'appartenir à un système et à un monde condamné, et elle doit disparaître avec ce monde. »

Mais Artaud, qui mène de front ses activités littéraires, cinématographiques et théâtrales, a déjà la tête ailleurs. En 1931, il assiste à un spectacle du Théâtre Balinais présenté dans le cadre de l'Exposition coloniale et fait part à Louis Jouvet de la forte impression ressentie : « … de la quasi inutilité de la parole qui n'est plus le véhicule mais le point de suture de la pensée, [...] de la nécessité pour le théâtre de chercher à représenter quelques-uns des côtés étranges des constructions de l'inconscient, [...] tout cela est comblé, satisfait, représenté, et au-delà par les surprenantes réalisations du Théâtre Balinais qui est un beau camouflet au Théâtre tel que nous le concevons. »

Poursuivant sa quête d'un théâtre du rêve et du grotesque, du risque et de la mise en danger, Artaud écrit successivement deux manifestes du « Théâtre de la Cruauté » : « Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible. Dans l'état de dégénérescence où nous sommes c'est par la peau qu'on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. » (1932).
Sa première réalisation « Les Cenci » jouée dans des décors de Balthus est un échec. Par son refus de la passivité du public, Artaud voulait le placer dans un « bain constant de lumière, d'images, de mouvement et de bruits », comme la diffusion par haut-parleurs du bourdon de la cathédrale d'Amiens. Il cherchait à créer chez le spectateur un état d'hallucination et de peur, à le « confronter à une action, mais sans conséquences pratiques » ; l'image d'un crime étant, pour l'esprit, « infiniment plus redoutable que ce même crime réalisé. » La pièce est retirée de l'affiche après 17 représentations (1935).

En 1938 paraît un recueil de textes sous le titre « Le Théâtre et son double » dont « Le Théâtre et la peste » texte d'une conférence littéralement incarnée, plus que prononcée, Artaud jouant les dernières convulsions d'un pestiféré devant une assistance atterrée puis hilare.[2]

Artaud et le cinéma[]

" Faire servir le cinéma à raconter des histoires, une action extérieure, c’est se priver du meilleur de ses ressources, aller à l’encontre de son but profond.[3]"

À la question « Quel genre de films aimez-vous ? » posée par le cinéaste René Clair[4], Antonin Artaud répond : « J'aime le cinéma. J'aime n'importe quel genre de films. Mais tous les genres de films sont encore à créer. Je crois que le cinéma ne peut admettre qu'un certain genre de films : celui seul où tous les moyens d'action sensuelle du cinéma auront été utilisés. »

Déçu par le théâtre qui ne lui propose que de petits rôles, Artaud espère du cinéma une carrière d'une autre envergure. « Au cinéma l'acteur n'est qu'un signe vivant. Il est à lui seul toute la scène, la pensée de l'auteur. »
Il s'adresse à son cousin Louis Nalpas directeur artistique de la Société des Cinéromans, qui lui obtient un engagement dans « Surcouf, le roi des corsaire » de Luitz-Morat et « Fait divers », un court-métrage de Claude Autant-Lara, tourné en mars 1924, dans lequel il interprête « Monsieur 2 », l'amant étranglé au ralenti par le mari.
Toujours par l'intermédiaire de son cousin, Artaud rencontre Abel Gance avec qui il sympathise au grand étonnement de l'entourage du cinéaste réputé d'accès difficile. Pour son film « Napoléon » en préparation, Abel Gance lui promet le rôle de Marat[5].

René Clair : « Quel genre de films aimeriez-vous voir créer ? » Artaud : « Je réclame des films fantasmagoriques, des films poétiques, au sens dense, philosophique du mot, des films psychiques. Ce qui n'exclut ni la psychologie, ni l'amour, ni le déballage d'aucun des sentiments de l'homme. Mais des films où soit opérée une trituration, une remalaxation des choses du cœur et de l'esprit afin de leur conférer la vertu cinématographique qui est à chercher. »

Artaud commence à écrire des scénarios dans lesquels il essaie de « rejoindre le cinéma avec la réalité intime du cerveau ». Ainsi « Dix-huit secondes » propose de dérouler sur l'écran les images qui défilent dans l'esprit d'un homme — frappé d'une maladie bizarre — durant les dix-huit secondes précédant son suicide.

À la fin de 1927, apprenant la préparation du film « La Chute de la maison Usher » de Jean Epstein, Artaud propose à Abel Gance de jouer le rôle de Roderick Usher : « Je n'ai pas beaucoup de prétentions au monde mais j'ai celle de comprendre Edgar Poe et d'être moi-même un type dans le genre de Maître Usher. Si je n'ai pas ce personnage dans la peau, personne ne l'a. Je le réalise physiquement et psychiquement. Ma vie est celle d'Usher et de sa sinistre masure. J'ai la pestilence dans l'âme de mes nerfs et j'en souffre. » Après quelques essais, Artaud ne sera pas retenu pour cause de « suracuité de son interprétation ».
La même année, Artaud justifie auprès des surréalistes sa participation au tournage du film de Léon Poirier « Verdun, visions d'Histoire », au titre que ce « n'est pas un film patriotique, fait pour l'exaltation des plus ignobles vertus civiques, mais un film de gauche pour inspirer l'horreur de la guerre aux masses conscientes et organisées. Je ne compose plus avec l'existence. Je méprise plus encore le bien que le mal. L'héroïsme me fait chier, la moralité me fait chier. »

De la dizaine de scénarios écrits et proposés, un seul sera tourné « La Coquille et le clergyman » par Germaine Dulac. Extrait du scénario : « Du fin fond de sa bouche entr'ouverte, de l'entre-deux de ses cils se dégagent comme des fumées miroitantes qui toutes se ramassent dans un coin de l'écran, formant comme un décor de ville, ou des paysages extrêmement lumineux. La tête finit par disparaître entièrement et des maisons, des paysages, des villes se poursuivent, se nouant et se dénouant, forment dans une sorte de firmament inouï de célestes lagunes, des grottes aux stalactites incandescentes et sous ces grottes, entre ces nuées, au milieu de ces lagunes on voit la silhouette du navire qui passe et repasse noir sur le fond blanc des villes, blanc sur ces décors de visions qui tournent soudainement au noir. »
Engagé en même temps par Carl Theodor Dreyer pour son film « La Passion de Jeanne d'Arc », Artaud ne suit que par intermittence la réalisation de « La Coquille…». Le soir de la première projection au Studio des Ursulines (9 février 1928), sa déception est telle qu'il ne peut s'empêcher de manifester bruyamment sa désapprobation avec les surréalistes venus en groupe à la séance.[6]

Dès lors, la magie du cinéma n'existe plus pour lui. Il poursuit malgré tout une carrière d'acteur, par nécessités alimentaires. L'avènement du parlant le détourne de cette « machine à l'œil buté » à laquelle il oppose « un théâtre de sang qui à chaque représentation aura fait gagner corporellement quelque chose ».

En 1933, dans un article « La Vieillesse précoce du cinéma », il en écrit l'éloge funèbre : « Le monde cinématographique est un monde mort, illusoire et tronçonné. Le monde du cinéma est un monde clos, sans relation avec l'existence. »
En 1935, il apparaît deux ultimes fois dans « Lucrèce Borgia » d'Abel Gance et « Koenigsmark » de Maurice Tourneur.

Filmographie comme acteur[]

Antonin Artaud aura tourné dans près de 25 films sans jamais avoir obtenu le moindre premier rôle ni même un second rôle d'importance :

  • « Fait divers », Claude Autant-Lara, 1924
  • « Surcouf, le roi des corsaire » de Luitz-Morat, 1925
  • « Graziella », Marcel Vandal, 1926, tourné en Italie
  • « Le Juif errant, Luitz-Morat, 1926, rôle de Gringalet
  • « Napoléon », Abel Gance, 1927, rôle de Marat
  • « La Passion de Jeanne d'Arc », Carl Theodor Dreyer, 1927, rôle du moine Massieu
  • « Verdun, visions d'histoire », Léon Poirier, 1927
  • « La Coquille et le clergyman », Germaine Dulac, 1928, avec Génica Athanasiou
  • « L'Argent », Marcel L'Herbier, 1928, rôle du secrétaire Mazaud
  • « Tarakanova », Raymond Bernard, 1929, rôle d'un jeune bohémien
  • « La Femme d'une nuit », Marcel L'Herbier, 1930, touné à Berlin, rôle de Jaroslav le traître
  • « L'Opéra de quat'sous », Georg Wilhelm Pabst, 1930, version française tournée à Berlin, rôle d'un apprenti mendiant
  • « Faubourg Montmartre », Raymond Bernard, 1931, rôle de Follestat, un meneur de révolte
  • « Les Croix de bois », Raymond Bernard, 1931, rôle de Vieublé
  • « Coup de feu à l'aube », Serge de Poligny, 1932, tourné à Berlin, rôle d'un chef de gangsters
  • « Mater dolorosa », Abel Gance, version parlante, 1932
  • « Liliom », Fritz Lang, 1933, rôle du rémouleur-ange gardien
  • « Lucrèce Borgia », Abel Gance, 1935, rôle de Savonarole
  • « Koenigsmark », Maurice Tourneur, 1935.

Séjour en hôpital psychiatrique[]

En 1936, Artaud part pour le Mexique et se rend à cheval chez les Tarahumaras pour y trouver «l'antique culture solaire» et du peyotl.
Un an plus tard, à son retour forcé d'Irlande, il sera interné pour avoir dépassé les limites établies de la marginalité. C'est aussi un moyen, selon ses amis, de lui assurer d'être nourri pendant la Seconde Guerre mondiale.[7] Malheureusement, les hôpitaux psychiatriques subissent les mêmes, sinon plus, privations alimentaires que l'ensemble de la population.[8]

Antonin Artaud a passé neuf ans d'internement dans différents asiles. À Sotteville-lès-Rouen à son retour d'Irlande, où il est retenu deux mois durant sans la possibilité de contacter qui que ce soit, puis à l'hôpital de Ville Evrard, près de Paris. Dans cet établissement, deux médecins italiens, Ugo Cerletti et Lucino Bini veulent expérimenter un nouveau traitement. Le premier ayant constaté dans les abattoirs de Rome que les chocs électriques ne tuent pas les animaux mais les assomment, il passe de l'expérimentation sur les animaux aux êtres humains, encouragé dans cette entreprise par les nazis qui interdisent l'usage de l'insuline pour les malades mentaux. Artaud échappe aux électrochocs grâce au diagnostic d'un médecin qui le juge trop faible pour supporter le traitement. Il n'aura pas cette chance à l'hôpital de Rodez. Il subira cinquante-deux électrochocs qui vont achever de le briser physiquement.[9]

Les dernières années[]

Ses amis, Arthur Adamov, Marthe Robert et Jean Paulhan obtiennent qu'il sorte de l'asile de Rodez, le 25 mai 1946. Il retourne à Paris où il vivra encore trois ans. Le 13 janvier 1947, le Théâtre du Vieux-Colombier est assailli par neuf cents personnes du Tout-Paris littéraire et artistique, d'André Gide à André Breton. Dans un silence d'outre tombe, de 21 heures à minuit, « Artaud le Momo » ressuscite. Gide : « Jamais encore Antonin Artaud m'avait paru plus admirable. De son être matériel rien ne subsistait que d'expressif : sa silhouette dégingandée, son visage consumé par la flamme intérieure, ses mains de qui se noie. »
Durant cette période, il est hébergé dans une clinique d'Ivry-sur-Seine, mais libre de ses mouvements. Là, il écrit sur plus de quatre cents cahiers d'écolier, et dessine des autoportraits et des portraits de ses amis à la mine de plomb et craies de couleurs. En novembre 1947, il enregistre pour la radio « Pour en finir avec le Jugement de Dieu » avec la participation de Maria Casarès, Paule Thévenin et Roger Blin. Programmé pour le 1er février 1948, la diffusion en est interdite par le directeur de la Radiodiffusion française. Suite à diverses réactions suscitées par son interdiction, sa diffusion est proposée à un public restreint composé de journalistes, d'artistes et d'écrivains. Maurice Nadeau : « J'approuve Guilly quand il trouve scandaleuse l'émission d'Antonin Artaud et je me réjouis de ce scandale. Ne nous répétait-on pas sur tous les tons que dans l'état de décadence où nous sommes, rien ne saurait plus scandaliser ? Qu'un poète par sa seule voix y parvienne, redonne un certain crédit aux mots. » Le texte fera l'objet d'une publication posthume en avril 1948.[10]
Atteint d'un cancer du rectum diagnostiqué trop tard, Antonin Artaud meurt le matin du 4 mars 1948, probablement victime d'une surdose accidentelle d'hydrate de chloral, produit dont il connaissait mal l'usage. On l'a retrouvé recroquevillé au pied de son lit. Lorsque sa famille arrive, prévenue presque neuf heures après sa mort, elle trouve sa chambre complètement pillée de toutes ses affaires personnelles, de ses livres, ses cahiers, ses manuscrits, ses notes, ses contrats, sa correspondance, ainsi que de ses dessins dont certains étaient punaisés aux murs de sa chambre. Antonin Artaud reposait sur son lit, les poches retournées. Une « plainte contre X » fut déposée pour vol. Sur l'un de ses cahiers de brouillon, on a pu lire ses dernières phrases : « De continuer à / faire de moi / cet envoûté éternel / etc. etc. »

Hypnotisé par sa propre misère, où il a vu celle de l'humanité entière, Artaud a rejeté avec violence les refuges de la foi et de l'art. Il a voulu incarner ce mal, en vivre la totale passion, pour trouver, au cœur du néant, l'extase. Cri de la chair souffrante et de l'esprit aliéné en un homme qui se veut tel, voilà le témoignage de ce précurseur du théâtre de l'absurde (Eugène Ionesco et Samuel Beckett) et de la cérémonie (Michel de Ghelderode, Jean Genet). "Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d'abord cela." "J'ai pour me guérir du jugement des autres, toute la distance qui me sépare de moi."

Témoignage[]

« Peut-être était-il en plus grand conflit que nous tous avec la vie. Très beau, comme il était alors, en se déplaçant il entraînait avec lui un paysage de roman noir, tout transpercé d'éclairs. Il était possédé par une sorte de fureur qui n'épargnait pour ainsi dire aucune des institutions humaines, mais qui pouvait, à l'occasion, se résoudre en un rire où tout le défi de la jeunesse passait. N'empêche que cette fureur, par l'étonnante puissance de contagion dont elle disposait, a profondément influencé la démarche surréaliste. Elle nous a enjoints, autant que nous étions, de prendre véritablement tous nos risques, d'attaquer nous-mêmes sans retenue ce que nous ne pouvions souffrir. », André Breton[11]

Œuvres[]

  • « Tric Trac du Ciel », illustré de gravures sur bois par Élie Lascaux, Paris, Simon, s.d., 1923
  • « L'Ombilic des limbes », Gallimard, NRF, Paris, 1925
  • « Le Pèse-nerfs », Leibovitz, Paris, 1925
  • « L'Art et la mort », Denoël, Paris, 1929
  • « Le Moine, de Lewis », traduction et adaptation, Denoël & Steele, Paris, 1931
  • « Héliogabale ou l'anarchiste couronné », Denoël & Steele, Paris, 1934
  • « Les Nouvelles révélations de l'être », Denoël, Paris, 1937
  • « Le Théâtre et son double », Gallimard, Paris, 1938
  • « D'un voyage au pays des Tarahumaras », Éditions de la revue Fontaine, Paris, 1945
  • « Van Gogh le suicidé de la société », K éditeur, Paris, 1947
  • « Artaud le Mômo », Bordas, Paris, 1947
  • « Ci-Gît précédé de La culture indienne », K éditeur, Paris, 1947
  • « Pour en finir avec le jugement de Dieu », K éditeur, Paris, 1948
  • « Les Cenci », in « Œuvres complètes », Gallimard, La Pléiade, 1964
  • « 50 dessins pour assassiner la magie », Gallimard, Paris, 2004
  • « Artaud Œuvres », édition établie, présentée et annotée par Evelyne Grossman, collection "Quarto", Gallimard, Paris, 2004
  • « Cahier d'Ivry, janvier 1948 », fac-similé, Gallimard, Paris, 2006
  • « Nouveau écrits de Rodez », Gallimard, L'Imaginaire, Paris, 2006

Documents sonores[]

Documents audio-visuels[]

Bibliographies[]

  • André Bonneton, Le naufrage prophétique d'Antonin Artaud, Lefebvre Editeur, Paris 1961.
  • Jean-Philippe Cazier, "Antonin Artaud" in Aux sources de la pensée de Gilles Deleuze, Editions Sils Maria/Vrin, 2005.
  • Raphaël Denys, Le testament d'Artaud, Gallimard, 2005.
  • Evelyne Grossman, Artaud, l’aliéné authentique, Farrago / Léo Scheer, Tours, 2003.
  • Christian Nicaise, Antonin Artaud : Les Livres, L'Instant perpétuel, Rouen, 2003. (ISBN 2-905598-79-4)
  • Anaïs Nin, « "Je suis le plus malade des surréalistes" - Nouvelle où Antonin Artaud apparaît sous les traits du personnage Pierre », dans La Cloche de verre.
  • Jacques Prevel, En compagnie d'Antonin Artaud, suivi de Poèmes. Flammarion, 1994.
  • Florence de Mèredieu, "C'était Antonin Artaud", Biographie. Fayard, 2006.

Filmographie[]

  • « Artaud cité : Atrocité », réalisateur André S. Labarthe, 47mn, 2000, production A.M.I.P. / France 3, collection « Un siècle d'écrivains »
  • « En compagnie d'Antonin Artaud », réalisateur Gérard Mordillat, 1993, scénario d'après Jacques Prevel par G. Mordillat et Jérôme Prieur, Arte éditions
  • « La Véritable histoire d'Artaud le mômo », réalisateurs Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, 2h50mn, 1993, Arte éditions

Notes et références[]

  1. Lettre de Simone Kahn à Denise Naville du 3 octobre 1924. Cité dans Henri Béhar « André Breton, le grand indésirable », Fayard 2005
  2. témoignage d'Anaïs Nin.
  3. citation en exergue de « Le Temps exposé » de Dominique Païni, 2002.
  4. dans le cadre d'une enquête pour la revue Théâtre et Comoedia illustré de mars 1923.
  5. Une photo (d'Artaud en Marat), est reproduite dans « Les Surréalistes » de Philippe Audoin, Le Seuil, 1973, p. 54
  6. Dans une analyse ultérieure du film, le cinéaste André S. Labarthe donnera crédit à Germaine Dulac d'avoir su mettre en image le scénario d'Artaud, mais ce dernier en attendait la « capture du jaillissement ».
  7. Propos tenus par Patrick Coupechoux, auteur de « Un monde de fous », dans « Concordance des temps » sur France Culture, le 30 juin 2007
  8. Patrick Coupechoux : "La participation du régime de Vichy au non approvisionnement volontaire des asiles étant possible mais non prouvée", ibid.
  9. La chronologie d'Evelyne Grossman, in « Artaud Œuvres », Gallimard Quarto, 2004, pages 1756 à 1759, établi la liste des séances d'électrochocs : "Juin 1943 : une première série d'électrochocs, puis une deuxième séance qui provoque une fracture de la neuvième vertèbre dorsale. Octobre-novembre : 12 électrochocs. Entre mai et juin 1944 : 12 électrochocs. Août : 12 électrochocs. Artaud se plaint d'hémorragies intestinales. Décembre : 12 électrochocs."
    Dans le documentaire « Artaud cité : Atrocité » d'André S. Labarthe, le commentaire parle de 58 électrochocs (à 26 minutes 7 secondes).
  10. L'œuvre sera diffusée, pour la première fois, sur France Culture en 1973.
  11. « Entretiens avec André Parinaud », 1952.

Liens externes[]

Sites généralistes et hommages

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Articles


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